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mercredi 14 avril 2010

#86


« Ce que nous donnent les communications de masse, ce n'est pas la réalité, c'est le vertige de la réalité. Ou encore, sans jeu de mots, une réalité sans vertige, car le cœur de l'Amazonie, le cœur du réel, le cœur de la passion, le cœur de la guerre, ce « Cœur» qui est le lieu géométrique des communications et qui en fait la sentimentalité vertigineuse, c'est précisément là ou il ne se passe rien. C'est le signe allégorique de la passion et de l'événement, et les signes sont sécurisants.

Nous vivons ainsi à l'abri des signes et dans la dénégation du réel. Sécurité miraculeuse : quand nous regardons les images du monde, qui distinguera cette brève irruption de la réalité du plaisir profond de n'y être pas ? L'image, le signe, le message, tout ceci que nous « consommons », c'est notre quiétude scellée par la distance au monde et que berce, plus qu'elle ne la compromet, l'allusion même violente au réel.


Le contenu des messages, les signifiés des signes sont largement indifférents. Nous n'y sommes pas engagés, et les média ne nous renvoient pas au monde, ils nous donnent à consommer les signes en tant que signes, attestés cependant par la caution du réel. C'est ici qu'on peut définir
la praxis de consommation. La relation du consommateur au monde réel, à la politique, à l’histoire, à la culture, n’est pas celle de l’intérêt, de l’investissement, de la responsabilité engagée – ce n’est pas non plus celle de l’indifférence totale : c’est celle de la CURIOSITÉ. Selon le même schéma, on peut dire que la dimension de la consommation telle que nous l’avons définie ici, ce n’est pas celle de la connaissance du monde, mais non plus celle de l’ignorance totale : c’est celle de la MÉCONNAISSANCE. Curiosité et méconnaissance désignent un seul et même comportement vis-à-vis du réel, comportement généralisé et systématisé par la pratique des communications de masse et donc caractéristique de notre « société de consommation » : c’est la dénégation du réel sur la base d’une appréhension avide et multipliée de ses signes. »
Jean Baudrillard; La société de consommation.