« L'identité historique n'est plus affirmée que comme pure nostalgie, l'Islam devient une religiosité diffuse à usage individuel, qui n'inspire plus la réflexion sur les grands problèmes nationaux; l'histoire arabe, mal connue et au fond méprisée, sert uniquement à justifier d'une manière fallacieuse un mimétisme total de l'Occident.
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On voit bien que cette conscience technophile hait la psychologie et la sociologie différentielles, supprime la liberté de choix et use d'une rigueur effilée... L'intellectuel petit-bourgeois porte et propage une idéologie dont les implications sont contraires à ses conditions de vie et c'est là une autre conséquence de la coupure entre être et conscience dans notre société. »
« Les hupomnêmata, au sens technique, pouvaient être des livres de compte, des registres publics, des carnets individuels servant d'aide-mémoire. Leur usage comme livre de vie, guide de conduite semble être devenu chose courante dans tout un public cultivé. On y consignait des citations, des fragments d'ouvrages, des exemples et des actions dont on avait été témoin ou dont on avait lu le récit, des réflexions ou des raisonnements qu'on avait entendu ou qui étaient venus à l'esprit. Ils constituaient une mémoire matérielle des choses lues, entendues ou pensées ; ils les offraient ainsi comme un trésor accumulé à la relecture et la méditation ultérieures.
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Aussi personnels qu'ils soient, ces hupomnêmata ne doivent pas être compris comme des journaux intimes, ou comme ces récits d'expérience spirituelle (tentations, luttes, chutes et victoires) qu'on pourra trouver dans la littérature chrétienne ultérieure. Ils ne constituent pas un « récit de soi-même » ; ils n'ont pas pour objectif de faire venir à la lumière du jour les arcana conscientiae dont l'aveu - oral ou écrit - a valeur purificatrice. Le mouvement qu'ils cherchent à effectuer est inverse de celui-là : il s'agit non de poursuivre l'indicible, non de révéler le caché, non de dire le non-dit, mais de capter au contraire le déjà-dit ; rassembler ce qu'on a pu entendre ou lire, et cela pour une fin qui n'est rien de moins que la constitution de soi. »
Michel Foucault, L'écriture de soi, Corps écrits n° 5, février 1983, pp. 3-23, reproduit inDits et écrits, volume IV, Gallimard.
« Insensé voici l'homme aux crispations de cristal /
à la rumeur de sable au passé de poupée /
à la démarche creuse dans un lit de détresse /
et cependant présent aux passages du printemps »
Joan Miró